Extrait du livre "Pierrette!" (2016) de Pierrette Dijan aux editions Edilivre disponible sur Fnac.com
Chapitre 14
La Maladie de Wilson
Quelques jours seulement après mon entrée à l'hôpital neurologique de Bron, au service ophtalmologique, je me suis installée pour un examen à la lampe à fente. Après avoir posé le menton sur l’appareil, j'ai entendu le médecin s'exclamer, qu'il est beau, venez voir, il est magnifique ! Toutes les blouses blanches présentes dans la salle, et il y en avait au moins une demi-douzaine, se sont succédées et ont regardé dans mon œil. J'ai entendu parler d'un anneau vert.
Après un temps interminable, le premier est enfin revenu vers moi ; Je lui ai demandé :
Mais qu'est-ce que j'ai ?
Vous avez un anneau vert, mais qu'est-ce qu'il est beau ! M'a-t-il répondu avec admiration.
Je n'en savais pas plus.
Le lendemain matin, alors que j'étais âgée de 17 ans, les médecins sont entrés dans ma chambre et m'ont annoncé qu'ils avaient découvert de quoi j'étais atteinte. C'est une pathologie génétique, rare. J'entendais son nom pour la première fois: la Maladie de Wilson.
Il s'agit d'une déficience d'assimilation du cuivre. L’anneau vert dans mes yeux était un dépôt de cuivre, il se nomme l'anneau de Kayser-Fleischer. Il est caractéristique de cette maladie.
L'atteinte hépatique était due à une surcharge en cuivre dans le foie
Tout de suite, je leur ai demandé s'il s'agissait d'une affection grave.
Ils m'ont répondu :
Oui, mais il existe un traitement que l'on va vous prescrire. Il faudra le prendre à vie.
Ma deuxième question :
Est-ce que je pourrai avoir des enfants ?
Ils m'ont affirmé :
Oui.
Alors j'ai relativisé.
S'il y a un traitement, je ne vais pas mourir. Je pourrai avoir des enfants.
J'aurai donc la possibilité de vivre normalement. Alors tout va bien.
En plus du traitement et de sa surveillance, j'aurai aussi la contrainte, toute ma vie d'avoir une alimentation pauvre en cuivre. Le lendemain, la diététicienne m'a appris qu'il y en avait partout, et c'était bien ma veine surtout dans les aliments que j'affectionne particulièrement... le chocolat, les légumes secs, les huîtres, les moules.
Heureusement les abats aussi en contiennent beaucoup et eux ça tombait bien, je les détestais !
Afin d'éliminer tout le cuivre stocké dans mon organisme depuis ma naissance, dès le début, le traitement m'a été administré à de très forte dose.
Le diagnostic a été posé mi-mai 1976, soit deux ans après les premiers symptômes, et seulement deux mois après la consultation avec le docteur M. neurologue pour lequel, je n'avais aucun trouble neurologique !
Malheureusement aujourd'hui le temps moyen nécessaire pour diagnostiquer une maladie rare c'est encore, deux ans !
Le mois de mai 1976 a été historique pour sa canicule et sa sécheresse. Pour l’anecdote le Rhône pouvait se traverser à pieds. Maman lavait ma chemise de nuit plusieurs fois dans l'après-midi
à cause de la transpiration.
Un jour l'interne m'a appris que mon père qui habitait à Nice lui avait téléphoné pour demander de mes nouvelles. Il lui avait rétorqué :
Si vous êtes son père, venez dans mon bureau et je vous parlerai.
La descente aux enfers
Dès qu'on pénètre dans les hôpitaux, on devient un simple numéro de lit. Si en plus, on est atteint d'une maladie rare, on est alors transformé un animal de laboratoire !
La découverte d'un cas de maladie de Wilson s'est répandue dans l'hôpital comme une traînée de poudre.
Tous les jours, trois ou quatre étudiants en médecine se succédaient dans ma chambre pour, me questionner, me voir marcher, me faire faire les marionnettes avec les mains..... Plusieurs fois on m'a fait appeler dans une grande salle remplie de blouses blanches qui avaient tous les yeux rivés sur moi à décortiquer mes gestes et mes paroles. Sans compter tous les examens pratiqués juste pour étudier....
Un jour l'équipe médicale a pénétré dans ma chambre au moment où j'étais prise de nombreuses crampes. Après discussion, ils ont décidé de m'administrer un médicament. L'un d'entre eux s'est absenté et il est réapparu avec une gélule bleue qu'il m'a déposée dans la main. Très maladroite, en raison de mes problèmes de coordination, elle m’a échappé des mains et elle est tombée.
C'est alors que j'ai assisté à une scène étonnante ….......
Médecins et professeur, l'air affolé, l'un secouant les draps avec vigueur les autres à quatre pattes sous mon lit en train de rechercher la précieuse médication....
Je m'interroge encore sur ce remède dont je n'ai plus jamais entendu parler.
Un vendredi matin une infirmière est entrée dans ma chambre, et elle m'a invitée à me peser parce que le lundi après-midi j'aurai une P. L.
Je l'ai interrogée
Qu'est-ce que c'est ?
Elle m'a répondu
Une ponction lombaire.
A cause de la réputation très douloureuse de cet examen, une énorme panique m'a envahie.
J'ai demandé à voir le professeur T., qui m'avait assuré que je ne subirais aucun acte douloureux. Elle m'a annoncé qu'il était en vacances ! Quel traître ! Jamais je ne lui pardonnerai.
Afin d'essayer de m'apaiser l'infirmière témoin de ma frayeur m'a accompagnée voir un patient sur qui on avait pratiqué la fameuse ponction lombaire quelques jours auparavant. Il a tenté de me rassurer, mais j'ai à peine prêté l'oreille.
Le lendemain je suis sortie en permission. J'ai imploré maman de ne pas m'y reconduire. Je ne voulais pas y aller. Elle m'a raisonnée, mais c'est à contre cœur, que le dimanche soir j'ai retrouvé mon lit d'hôpital.
Le lundi matin, l'infirmière m'a placé une perfusion pour me calmer. Maman est arrivée en tout début d'après-midi. Vers quatorze heures, une dizaine de blouses blanches a fait irruption dans ma chambre. C'était très impressionnant. Ils ont prié maman de sortir.
Allongée sur le côté, un médecin a appuyé sur mon ventre. La ponction a été faite.
On m'a indiqué comme consigne de ne pas me lever, ni m’asseoir, de rester à plat et sans oreiller pendant 24h pour ne pas déclencher des céphalées.
Comment sans aucune aide, prendre ses repas dans cette position !
Vingt-quatre heures après la ponction lombaire, mon pied gauche s'était placé en équin, la plante du pied tournée vers l’intérieur, j'étais dans impossibilité de le poser à terre. Puis, en quelques jours ma jambe gauche se pliait.
Les troubles neurologiques se sont très vite et considérablement aggravés. Rapidement je n'arrivais plus à parler ni à déglutir, et j'avais du mal à me servir de mes mains. Je souffrais de nombreuses crampes. Il m'était même impossible de me retourner dans mon lit. Telle que l'on me posait, je restais !
J'ai dégringolé pendant deux longues années....
Je ne comprenais rien à ce qui m’arrivait, la maladie était diagnostiquée, j'avais commencé le traitement et je me dégradais de plus en plus! Ce n'était pas seulement une question de santé, c'était toute ma personne qui partait en lambeau.
Je dépendais des autres pour tous les gestes de la vie, même les plus intimes (s'essuyer les fesses).
J'avais 17 ans !
Comment crier sa souffrance, son incompréhension, quand aucun mot ne sort de sa bouche !
J'ai découvert en 2000 soit 24 ans plus tard, que cette aggravation avait été due au déplacement du cuivre qui s'était accumulé dans mon corps et mon cerveau. La trop forte dose de médicament que l'on m'avait administré en était la cause !
Des patients en sont morts.
De nos jours, on prescrit le traitement en l'augmentant progressivement afin d'éviter ces complications.
Pendant ces deux interminables années, maman, Mireille, Josette et Patou son mari, étaient là, à mes côtés. Ils respiraient avec moi, pour m’insuffler la force de me battre. De nombreuses nuits ils ont dormi à tour de rôle à mes côtés.
Du fait de ma maigreur et de mon alitement et afin de prévenir les escarres à l'hôpital, mon lit était équipé d'un matelas à eau. Les infirmières me frictionnaient le dos à l'eau de Cologne plusieurs fois par jour. Elles me bandaient aussi des moitiés d'orange sous les talons.
Pour la maison maman louait un matelas à air. L'air passait dans des tuyaux en se déplaçant régulièrement afin que les points d'appui ne soit pas les mêmes. Ce qui provoquait de drôles de sensations.
Mireille avait dessiné l'alphabet sur un carton pour communiquer avec moi. Il était posé sur ma table de chevet. En me désignant les lettres une par une, je hochais de la tête pour dire oui ou non.
Alors que j'étais au plus mal, je ne pesais plus que 35 kg, le professeur T. s'est déplacé à la polyclinique de Rilleux pour me voir. Avec le docteur S., ils ont décidé de m'administrer un traitement que l'on prescrit aux malades de Parkinson, du Sinemet.
Pour fêter mes 18 ans, Maman a insisté pour que je sois à la maison. Mais, voyant mon état de santé se dégrader gravement elle m'a offert mon cadeau à l'hôpital une dizaine de jours avant mon anniversaire.
J'ai vraiment frôlé le pire à ce moment.
J'ai toujours gardé ma conscience. Je me souviens de chaque seconde de cet abîme.
Plus tard, les témoins de cette époque, m'affirmeront, que malgré la souffrance qui se lisait sur mon visage, mon sourire n'a jamais disparu.
A aucun moment je n'ai songé à la mort. Je regrettais en particulier de n'avoir pas fait l'amour, alors que j'en avais eu l'occasion. Je pensais :
Tu ne le connaîtras jamais.
Quand j'apercevais mon image dans un miroir, squelettique, mon visage marqué par la douleur des crampes incessantes, la bouche tordue, les mains déformées, dans mon fauteuil roulant avec cette jambe gauche pliée qui me courbait !
J'étais très loin de l'image d'un top modèle !
Qui me désirerait ?
Une jeune fille de mon âge, embauchée l'été pour le ménage dans les chambres des hôpitaux, se lamentait en s'adressant à moi tous les jours, parce qu'une verrue plantaire lui gâcherait ses vacances !
Elle semblait oublier qu'elle travaillait dans un hôpital.
J'avais envie de lui crier "ouvre les yeux ! ".
Cependant, je la plaignais aussi mais pas pour les mêmes raisons.
Michel L. l'amoureux de mes douze ans, informé de mes problèmes, m'a envoyé une très jolie lettre. Il m'a rendu visite à plusieurs reprises. Il m'a même promenée dans la rue avec mon fauteuil roulant.
Alors que maman et moi nous nous baladions dans la rue et avant que l'on ait pu réagir, une femme âgée m'a glissé un billet de dix francs dans la main !
Comment interpréter ce geste ? Elle avait sûrement de la compassion. Seulement c'était la dernière chose dont j'avais besoin.
Un jour mon père est venu me voir à l’hôpital, je l'ai aperçu à l'entrée de ma chambre et puis Mireille et maman se sont interposées devant mon lit.
Elles ont prétexté et répété durant des années m'avoir protégée à ce moment-là. Je n'ai jamais compris, de quel danger j'étais menacée !
J'avais besoin de lui, de sa main dans la mienne, d'un bisou paternel, réconfortant, je n'en ai pas le souvenir.
Durant toutes mes hospitalisations, maman m'a rendu visite quotidiennement. Elle apparaissait dans ma chambre toujours très souriante et bien pomponnée, un vrai bouquet de fraîcheur !
Elle ne m'a jamais laissé apparaître son souci pour mon état de santé.
Elle m'écrivait aussi tous les jours de jolies cartes postales. Le vaguemestre me les distribuait le matin. L'après-midi, elle les épinglait au mur pour égayer ma chambre.
Un jour Mireille m'a offert un énorme ours noir en peluche, je l'ai baptisé «Choum ». Il représentait pour moi une boule de douceur, dans ce parcours douloureux.
Les médecins ont déclaré que j'étais une enfant puérile.
Mais comment se seraient-ils comportés si au même âge ils avaient été dans le même état que moi ?
Dans notre petite maison pour des raisons pratiques, maman avait descendu mon lit dans la salle à manger.